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 Une longue marche dans le brouillard.

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Styx

Styx


Nombre de messages : 5
Date d'inscription : 21/03/2007

Une longue marche dans le brouillard. Empty
MessageSujet: Une longue marche dans le brouillard.   Une longue marche dans le brouillard. Icon_minitimeSam 31 Mar - 16:13

J'ai écrit ce texte peu de temps après la mort de mon père. Je le considère comme un poison insidieux que j'ai extirpé de mon esprit en le mettant à l'écrit.

Une sonnerie stridente me vrille les oreilles. Je tends la main pour la faire taire et je réponds. Je n’aurais pas du. Violente, immédiate, la douleur part se nicher au plus profond de moi. J’ai trop mal. Ca me déchire et je suis propulsée de l’autre côté. Je reprends mon souffle. Je n’ai plus mal. Je suis dans le brouillard. Je regarde au travers de l’écran qu’il a dressé autour de moi. Au-delà, le monde n’est fait que d’arêtes acérées, aigues. Je suis mieux ici. Le froid qui y règne m’a rendu mes pensées. Je peux y réfléchir. Je regarde celle qui est restée de l’autre côté. Elle souffre. Je voudrais avoir de la peine pour elle mais elle a tout gardé. Il ne me reste que le froid et ma lucidité.

Je la fais se lever. Il y a tant à faire. Il y a trop à faire. Elle n’en a pas envie. Tout ce qu’elle veut, c’est se rouler en boule et se rendormir pour ne plus jamais se réveiller. Elle ne sait pas quoi faire alors je prends les commandes. Elle se prépare, marche, conduit, s’arrête, parle, sourit, acquiesce. C’est une marionnette et je tire les fils. Elle a envie de pleurer. Je refuse. D’autres autour d’elle n’ont pas trouvé le brouillard. Ils sont aveugles. Ils souffrent, entiers, et il ne reste qu’elle en guise de guide. Je lui dis de garder les yeux secs. Elle obéit.

La journée n’est qu’un labyrinthe d’encre et de papier. La mort n’est pas assez réelle puisqu’il faut la constater noir sur blanc. Elle a envie de se révolter. Je lui ordonne de se calmer. Elle ne comprend rien alors j’interviens. Elle déchiffre, je traduis. Elle entend, j’écoute. Je lui souffle quoi donner, que répondre, où signer. Elle obéit sans discuter. Un visage qui lui ressemble suit chacun de ses gestes, écoute chacune de ses paroles. Il y a de la douleur dans ses yeux égarés. Elle sourit à sa sœur. Elle n’est pas seule. Je sens qu’on les dévisage. Je distingue de la curiosité, de l’indifférence, parfois de l’impatience, plus rarement de la compassion. Elle a du mal à le supporter. Je lui dis de les ignorer. Elle obéit du mieux qu’elle peut.

Le mur de papier est franchi. Le soleil se couche. Il est l’heure d’affronter la lueur des bougies. Proches et amis affluent, attirés par les petites flammes ténues. Ces papillons-là n’y laisseront pas leurs ailes. Les larmes dont ils ont fait la réserve les préservent de toute brûlure. Il faut entrer dans cette petite pièce glaciale. Elle avance. Il est là. Elle veut voir son père dans ce corps froid et raide. Dans ce visage déformé dont la mort a à jamais fermé les yeux. Je cherche dans sa mémoire et je lui envoie une image qu’elle peut accepter. Elle se penche sur lui. Elle l’embrasse. Le froid de ce contact la frappe brutalement. Les larmes et la douleur jaillissent en elle, à travers elle. Trop vite. Je n’ai pas le temps de réagir. La douleur perce le brouillard et je tressaille, surprise. Je repousse cette souffrance. Je n’en veux pas. Elle n’est pas à moi. Je lui ordonne d’arrêter. Elle est trop faible pour me résister. Elle ravale ses larmes. Elle reprend ce qui est à elle. Mais une brèche béante s’est ouverte dans le brouillard. Je n’arrive pas à la refermer.

Des gens prient. Ils la tourmentent. Ca la fait pleurer. Ca me fait mal. Elle voudrait qu’ils s’arrêtent. Moi aussi. Je lui dis de tenir. Elle fait de son mieux. Des souvenirs sont évoqués, le passé est exhumé. Je lui dis de tout supporter. La nuit s’écoule à reculons. Elle est fatiguée. Moi aussi. J’ai du mal à l’empêcher de penser. Ses pensées sont dangereuses. A-t-il froid ? L’entend-il ? Est-ce que quelqu’un a pensé à le prévenir que toute la famille se réunissait ? Cet oubli la brise. Elle suffoque, les larmes l’étouffent. Chacune d’elles me brûle. Le brouillard se dissipe. Je le retiens de toutes mes forces. On la cerne de toutes parts. Elle panique. Je me reprends. Je lui dis de se calmer. Les bras finissent par s’écarter. Le temps retrouve son chemin. C’est le matin. Il est l’heure de la mise en bière. Elle le fixe, s’emplit les yeux. Un bras se glisse sous le sien. Celui-là soutient, n’agresse pas. Les deux sœurs se tiennent la main.

Il faut repartir. Ranger, remercier, conduire. Au bout, des cloches assourdies, un chœur de prières, des volutes d’encens. Elle pleure encore. Elle ne fait plus que ça. Je lui dis de le faire en silence. Elle se relève, suit le cortège. Elle voudrait faire demi-tour. Je lui dis qu’elle n’a pas le choix. Elle franchit le dernier seuil. Elle ne veut pas voir le trou. On le descend doucement. On les pousse vers l’avant ; la grande sœur, la petite sœur et le petit frère. Les enfants doivent être les témoins. On voit mieux avec les yeux noyés. On leur donne une fleur. Ils la lui jettent. La terre se met à pleuvoir. La bosse est pire que le creux. Elle a l’air si lourde. Si suffocante. Je lui ordonne de cesser d’y penser. On leur parle. Les gens semblent soulagés. Ils repartent. Elle rentre. Elle pleure. Elle dort.

On se réveille. Elle. Et moi. La nuit n’a pas recomposé le nous. Le brouillard y veille. Je sens ses reproches. Elle voudrait que j’accepte. Je sais qu’elle a raison. Quand la peine m’aura usée, le temps suivra son cours et l’usera à son tour. L’oubli viendra tôt ou tard. Je dois être lâche. Les larmes, la douleur, l’absence. La mort. Sa mort. Je ne peux pas encore affronter ce chemin. Je préfère l’abri du brouillard.
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