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Sujet : Un nouveau jeu en ligne !Florent l'ouvrit.
Spirit of Justice est un jeu révolutionnaire ! Jeu de rôle, jeu de stratégie... Spirit of Justice est tout cela à la fois ! Vous y créez votre propre univers en quelques clics et à l'époque que vous voulez ! Futur, Moyen-Âge... De nombreux adeptes vous attendent déjà ! Oserez-vous affronter nos champions ?
Cliquez ici, concluait un lien tentateur.
Les surfs de Florent se suivaient et se ressemblaient : consultations d'E-Mails, un petit coup de
Warcraft, quelques sites sexy -un célibataire se distrayait comme il pouvait... Et voilà qu'on lui proposait quelque chose de nouveau ! Intéressant, ça...
Il cliqua sur le lien. La barre d'adresse se remplit d'un
http://www.spirit-of-justice.com.Au bout de quelques secondes, la page arriva.
Bienvenue sur le site SPIRIT OF JUSTICE. Montez le son à votre convenance, puis cliquez, lui ordonnait un texte.
Florent tourna le potentiomètre des enceintes de son PC. Après le rituel
pouc, le son fut opérationnel.
Il cliqua. La suite se chargea plutôt vite.
Un écran blanc ? pensa-t-il.
Qu'est-ce que c'est que ce....Les enceintes diffusèrent une musique étrange. Un son, unique. Qui se mouvait comme la voix d'un chanteur hindou, mais n'avait rien d'humain. C'était un mélange de sons : crissement, bruit de réacteur, respiration râlante d'un agonisant... Et ce magma étrange de bruits tendait vers l'un ou vers l'autre au gré de très lentes fluctuations.
Dans le même temps, le blanc vira très lentement au bleu. Bleu qui s'obscurcit jusqu'au noir. Noir qui s'éclaircit jusqu'au rouge. Rouge qui devint orange. Orange qui se mua en jaune. Jaune qui pâlit lentement vers le blanc.
Cette lente progression chromatique recommença.
La présentation du jeu, sans doute. Mouais... Ils ne s'étaient pas foulés !
Bon ! Quand est-ce que je m'inscris, moi ?Une ligne noire scinda en deux l'écran aux couleurs mouvantes. S'encadra de deux lignes jaunes. Qui s'encadrèrent de deux lignes rouges. Puis vinrent deux lignes vertes.
Devant les yeux fascinés de Florent se forma bientôt une ellipse aux couleurs irrisées d'un arc-en-ciel. Qui rétrécit lentement jusqu'à sa disparition complète. Vinrent d'autres lignes aux multiples couleurs, qui formèrent à leur tour une ellipse. Qui disparut lentement.
Par-dessus le fond aux couleurs mouvantes, par-dessus l'ellipse qui grandissait et rétrécissait comme une respiration chromatique, des cercles aux couleurs translucides et aux tailles variables apparurent. Ils se montraient n'importe où sur l'écran, grands ou petits. Aucune cadence régulière dans leur apparition et disparition.
Je sens que je vais zapper ! C'est de l'arnaque, ce truc !Mais il ne pouvait se détacher de la présentation du jeu. C'était quoi comme jeu, déjà ? Ah bon, c'était un jeu ? Comment avait-il atterri ici, au fait ?
Tu vas mourir, Florent PasquierFlorent sursauta. La voix sortait... des enceintes ! Elle n'était qu'un chuchotement, très bas et pourtant parfaitement distinct par-dessus le magma de sons étranges qui fluctuaient sans cesse.
Tu vas mourir, Florent Pasquier
Non !Terrifié, il voulut arrêter ce flot d'images et de sons, il voulut fermer le navigateur, mais sa main, plus lourde que du plomb, refusa de bouger la souris.
L'image sembla se creuser comme un tunnel aux parois pleines d'aberrantes couleurs mouvantes, puis plonger. Florent eut l'impression d'avancer dans ce tunnel chatoyant et sombre, vif et mort, dans cet arc-en-ciel de cauchemar où l'ellipse ne cessait de respirer, où les cercles anarchiques dansaient une infernale sarabande.
Descend vers ta mort, Florent Pasquier. Laisse-toi glisser vers ta mort !Il ne protestait plus. Il avait réalisé depuis un moment que ça lui était bien égal, de mourir. Célibataire, avec pour tout objectif la conquête d'Angélique, qui ne voudrait sûrement pas de lui, ni de sa grosse bedaine. Un boulot qu'il exécrait. Et si c'était ça, la solution ? La mort au bout de ce tunnel...
Tu as raté ta vie... Au moins, tu auras réussi ta mort ! Tu ne l'aimes pas, ce travail à la banque... Je le sais, Florent Pasquier !Comment la voix pouvait-elle savoir qu'il travaillait à la banque et qu'il détestait ça ? Il se montrait toujours aimable avec les clients et sympa avec les collègues. Sa famille et ses amis étaient bien les seuls à savoir qu'il avait choisi ce boulot par prudence et qu'il ne l'aimait pas ! Alors, cette voix, comment pouvait-elle savoir ?
Il s'en fichait. Il s'en fichait royalement. Ca lui importait à peu près autant que la perspective de mourir.
Le tunnel défilait, défilait... Enfin, une image s'agrandit. Une pièce qu'il lui semblait bien connaître. Ces quatre murs blancs... Ce lit recouvert d'une couette rouge décorée d'idéogrammes chinois noirs... Ce bureau... Cette chaise...
Mon studio !
Bien sûr que c'est ton studio ! La pièce où tu vas finir tes jours... Et maintenant, regarde-moi...De ses lèvres léthargiques, il parvint à articuler la question qui se pressait contre sa bouche :
"_ Mais... Où êtes-vous ?"
Une silhouette aux contours fantômatiques apparut sur la chaise. Elle se précisa lentement, comme une photo en cours de développement.
C'était bien lui. Lui, Florent Pasquier, le banquier qui ne voulait pas être banquier...
Et son image se rapprocha, et lui fit face.
Es-tu prêt à mourir ?"_ Oui !" répondit Florent sans hésiter.
Il te suffit d'un clic...Une boîte de dialogue apparut :
Vous êtes sur le point de laisser ce site aspirer votre âme. Cette opération causera votre mort. Souhaitez-vous continuer ?
Confirmer. Annuler.Florent parvint enfin à bouger la souris. Il glissa le pointeur vers
Confirmer. Son index, si lourd et si las, parvint à cliquer sur le bouton gauche, qui semblait si dur !
Il vit son image se rapprocher. Puis il entendit d'effroyables craquements lorsque l'écran se dilata, se déforma, adopta les contours de son visage et de ses mains. Les doigts de verre se tendirent, deux bras touchèrent son front. Le visage lui sourit, tel un carnassier à sa proie sur le point d'être dévorée.
Toute chaleur sembla soudaint quitter le corps de Florent. Il eut l'impression atroce qu'il se vidait, que sa substance était aspirée. Et son image de verre riait, riait... Ricanait.
Florent laissait cette chose qui n'avait été qu'un PC, son cher PC, s'emparer de sa substance. Il sentit son ventre diminuer de volume. Il sentit sa chair s'évaporer de ses os. Et il s'en fichait.
Il n'avait même pas conscience de son ventre creux, de son squelette saillant.
La chose-ordinateur reprit sa forme originelle. Le pointeur, sans aucune aide, se dirigea vers la petite croix blanche sur fond rouge qui fermait le navigateur. Puis il cliqua sur le bouton Démarrer, sur Arrêter l'ordinateur, puis sur Arrêter.
Florent Pasquier ne vit pas un seul de ses phénomènes. Il était aveugle. Il était sourd. Il était mort. Et son cadavre, si maigre que toute chair semblait avoir fondu, tomba de la chaise.
FIN